jeudi 18 octobre 2012

La mort d'un Roi

Publié le 18 octobre 2012 sur le site de la revue Synthèse Nationale.

Lundi 15 octobre disparaissait à 89 ans Norodom Sihanouk. Traité en Chine régulièrement pour des affections récurrentes essentiellement liées à son âge, l’ancien monarque du Cambodge s’est éteint dans un hôpital de Pékin.

    Généralement présenté dans les médias comme « changeant » en politique, éclectique dans ses goûts et ses occupations, cet ancien élève du Lycée Chasseloup-Laubat de Saïgon est surtout controversé pour ses liens avec la Chine communiste et sa caution – très temporaire – au régime des Khmers rouges.


3 sept. 1941
Aux côtés de Norodom Sihanouk,
l’Amiral Decoux porte l’urne funéraire
du défunt roi du Cambodge,
S.M. Sisowath.
Sans rentrer dans les subtilités toutes asiatiques où les idéologies élaborées en Occident ont dans ces pays une signification et une portée très différentes, il m’apparaît salutaire de noter, au contraire du discours ambiant, l’extrême fidélité – en amitié – et la grande constance – en politique – de celui qui fut à n’en pas douter le plus grand homme d’État de l’Asie du Sud-Est pendant presque trois quarts de siècle.

Intronisé le 28 octobre 1941 sous la protection de la France alors puissance tutélaire, le jeune souverain reçut des mains mêmes de l’Amiral Decoux – Gouverneur général de l’Indochine de 1940 à 1945 – la tiare d’or à longue pointe, symbole royal du pays khmer. Alors qu’ensuite après-guerre l’Amiral Jean Decoux, injustement accusé et hospitalisé au Val de Grâce, était la cible d’un éprouvant procès d’épuration, Norodom Sihanouk, lui écrivit le 20 juin 1946 : « … je dirai avec quelle abnégation vous avez, en Indochine, servi les intérêts supérieurs de la France et avec quelle noblesse de cœur vous avez assuré, pendant quatre ans, la protection des peuples indochinois contre l’ennemi. Je suis certain que justice vous sera rendue et que la France vous considèrera comme un des meilleurs parmi ses fils ».

Dans ces temps agités où, en métropole et sur fond de représailles aveugles, la vilénie le disputait à la bassesse, les soutiens de cette qualité furent plutôt comptés aux hauts responsables français qui avaient été loyaux tant à leur mission qu’aux autorités légales de leur pays.

Cet engagement sincère en faveur de l’Amiral Decoux et de son action en Indochine, qui ne pouvait que déplaire au pouvoir politique alors en place en France, serait à lui seul une raison bien suffisante – en tout cas pour tous ceux qui croient encore à la France et à la grandeur de son œuvre au-delà des mers – de rendre hommage aujourd’hui à la mémoire de S.M. Norodom Sihanouk.


1944
Norodom Sihanouk, en tenue de « Yuvan »,
accompagné de l'Amiral Decoux,
du Résident Supérieur Gautier et
du Commissaire aux Sports Ducoroy,
passe en revue 15.000 jeunes.
Il ne me semble toutefois pas inutile de rappeler aussi que, malgré les atermoiements et les vicissitudes de ce qui perdura de la geste française en Asie après 1945, Norodom Sihanouk fut toujours un ami de notre pays. Il fut le premier souverain d’Indochine à avoir adhéré à l’Union française. Tout en prônant sur le plan international le non-alignement dans le conflit de « guerre froide » qui opposait les États-Unis à l’URSS, il tenta d’appuyer le neutralisme cambodgien – pour éviter à son pays les affres de la guerre américaine du Vietnam – sur la France qu’il croyait être encore une vraie puissance, capable de défendre indépendamment ses intérêts et ceux de ses alliés dans le monde. Pour se faire, en 1966, il invita à Phnom Penh le général de Gaulle qui, dans un discours resté fameux, l’assura du soutien de l’ancienne puissance coloniale. Las, comme trop souvent dès qu’il s’agit du verbiage – certes flamboyant – gaullien, ce ne fut qu’une posture, et Norodom Sihanouk fut renversé en 1970 sur l’initiative des Américains devant une France devenue impuissante.

L’action politique, militaire et diplomatique qu’il mènera ensuite de 1970 à 1991, lors de son retour au Cambodge qui voit sous son impulsion la restauration de la monarchie, appartiennent à l’Histoire asiatique. Habile tacticien et fin stratège, la souplesse de sa démarche ainsi que l’amour irréfréné que ce prince, dans toute la noblesse du mot, a toujours voué à ses sujets – qui le lui rendent bien en l’appelant affectueusement « Monseigneur Papa » – font de lui l’exemple d’une conduite de ce que d’aucuns sous d’autres cieux nommeraient un « pragmatisme organisateur » et un « nationalisme intégral ». L’un des très rares hommes d’État des XXe et XXIe siècles à avoir rétabli les institutions naturelles propres à protéger durablement son peuple, maurrassien sinon dans ses affirmations du moins dans son action, Norodom Sihanouk reste à mes yeux un modèle dont nos responsables politiques nationaux feraient bien de nos jours de s’inspirer.