Billet publié dans le n° de mars 2014 du magazine Gavroche.
Notre pays d’origine a en effet le don inégalé de créer de
toutes pièces des débats aussi inappropriés que pernicieux, quand ils ne sont
pas tout bonnement grotesques. Ainsi en fut-il du « mariage pour
tous », sinistre pantomime qui tourna à l’empoignement général alors
qu’une vraie volonté d’égalité des droits eût commandé l’instauration d’une
union civile accessible à tous et disjointe de l’institution millénaire du
mariage.
Mais cette approche équilibrée ne pouvait ressortir d’idéologues
apprentis-sorciers pour qui l’égalité est désormais synonyme de nivellement
égalitariste. Pour nos zélotes d’une novlangue très orientée, il faut
« déconstruire » ; en clair casser tout ce qui peut s’apparenter
à un ordre traditionnel vu comme un carcan insupportable. Foin d’une égalité
juridique jugée archaïque puisqu’il s’agit de plier la nature aux nouvelles
normes érigées en dogme. Pour légitimer la procréation entre individus du même
sexe, peu importait que l’on imposât aux homosexuels dupés une affligeante
parodie d’un mariage dès lors dénaturé.
L’actuel embrouillamini autour de la « théorie du
genre » procède de la même logique. Venue tout droit des États-Unis et fondée
sur l’idée que les attributs du sexe biologique ne sont que des stéréotypes
contraignants qu’il convient de gommer, le but est là d’enseigner dès la petite
enfance que l’on peut choisir librement son « genre ». Échaudés par
les fortes résistances suscitées, gouvernement et opposition parlementaire se
crêpent encore le chignon pour savoir lequel des deux a commencé à propager la
« rumeur » et les intéressés ont tout à craindre d’un
« transgenre » mué derechef en objet conflictuel.
Pour qui connaît la Thaïlande et ses nombreux katoey ces circonvolutions très
françaises ont de quoi surprendre. Dès le XVIIIe siècle, le Code des Trois Sceaux – l’ancienne
constitution siamoise – leur reconnaissait leur place pleine et entière dans un
royaume où rien n’empêche aujourd’hui un katoey
d’être indifféremment coiffeuse ou professeur d’université.
En Thaïlande les « genres » ne répondent assurément
en rien à une « théorie » ambitionnant un quelconque changement de
civilisation. Loin de la perception occidentale qui les assimile volontiers au
spectacle et à l’offre sexuelle, les katoey
n’y sont pas considérés comme une « communauté » distincte. Ils
s’intègrent au contraire d’autant plus aisément à une société thaïlandaise
jugée par ailleurs traditionnelle et conservatrice qu’ils se conforment comme
tout un chacun à ses règles. Soucieux du bien commun, leur comportement variera
selon les contextes et ils seront d’autant plus respectueux de la famille et des
hiérarchies naturelles qu’ils n’essaieront en rien d’y imposer quelque norme
transgressive ; même opérés, les katoey
ne se verront jamais comme des femmes authentiques car ils ne peuvent enfanter.
Le dévouement, le savoir-vivre et la compétence sont pour les Thaïlandais la
clé de la vie en société et, Katoey
ou pas, celui qui s’affranchit de ces critères a minima de bonne conduite perd irrémédiablement la face.
Souvent enviés en Thaïlande pour leur propension à jouer des
deux sexes dont ils réunissent les talents – féminité et virilité –, les katoey y sont aussi honorés tant pour
leur beauté singulière régulièrement célébrée que pour des exploits sportifs
moins attendus. Le succès populaire du film Satri-lek
(« les femmes de fer »), génialement inspiré de l’histoire vraie d’une
équipe de katoey qui gagna le championnat national de volley-ball dans
la catégorie homme, est à ce titre exemplaire.
En France, en dépit d’ « avancées sociétales » aux
buts inavoués, on attend toujours qu’une production audiovisuelle présentât
autrement que sous un aspect ridicule, pathétique ou rageusement ghettoïsé ceux
de nos concitoyens « qui se travestissent hors période de carnaval »,
selon la formule immortalisée par notre Préfecture de Police. Quand aux
« opérés », ils relèvent chez nous de l’hôpital ou de la
« médecine pour tous », selon les convictions.
À rebours de nos préjugés idéologiques, les katoey en Thaïlande sont indissociables
de l’identité nationale. Ils ont bien de la chance de n’être pas nés en France
car ils participent tout simplement d’une valeur fondamentale et universelle
qui s’appelle la liberté.