samedi 19 avril 2014

Cette Thaïlande qui dérange en France

Billet publié dans le n° d'avril 2014 du magazine Gavroche

Un an déjà. Un an que ce billet existe et qu’au fil de ses parutions nous comparons les mœurs, les politiques, les approches propres à nos deux pays, d’identité et d’accueil, sur des questions fort diverses.
Le privilège d’être expatrié, c’est que l’observation de sa terre natale s’enrichit dès lors des enseignements que l’on acquiert des sociétés où l’on vit.

Ainsi, tous ces mois passés, avons-nous considéré des sujets aussi variés que la corruption, l’école, la tenue en ville, l’épargne, les perceptions de l’histoire et des traditions, bien d’autres thèmes aussi, abordés à la marge, et jusqu’à la toute simple – mais ô combien importante – joie de vivre.


Force fut de constater qu’à ce petit jeu du « qui fait mieux », notre belle France en ressortait rarement gagnante.

Concomitamment, nos services consulaires enregistrent une croissance régulière des inscrits dans le royaume avoisinant les 10 % annuels.

Comme il n’aura pas échappé au lecteur assidu, nous sommes peu portés à croire que cette corrélation pour le moins suggestive ne procédât que d’un parfait hasard.

Certains penseront bien sûr que, fiscalité spoliatrice contre cocotiers nonchalants, la partie n’était pas égale et qu’il n’y a pas lieu de chercher ailleurs la cause de l’engouement de nos compatriotes pour cette terre bienveillante. C’est même l’antienne des reportages à succès. Ainsi en fut-il de « Thaïlande, eldorado ou mirage ? », qui, entre autres productions similaires, passa sur les canaux métropolitains il y a une petite année. Réalisé – fort honorablement au demeurant – par une société privée tournant au profit d’une chaîne publique, son cahier des charges lui imposait à l’évidence de ne pas sortir de cette équation bien bordée. Interrogeant quelques quidams représentatifs à leurs yeux de cette expatriation « très française », il se fut que l’auteur de ces lignes en fit partie. On l’y vit, entre deux brochettes et un verre à la main, louanger gaiement les petites mains du 7-eleven pour leur empressement prévenant à vous emballer vos menus achats ; vision certes infiniment plus exotique qu’un palmier pour qui connaît Paris. Il se hasarda aussi à supposer que « tant qu’à vivre avec des étrangers, d’aucuns pourraient être tentés de frayer plutôt avec ceux qui ont leur préférence ». L’hypothèse ne fut pas retenue au montage. On ne saurait blâmer l’honnête travailleur qui veille à son gagne-pain.

Mais pour nous tous ici qui vivons en Thaïlande, est-ce vraiment un secret ?

Issue d’un choix délibéré, cette destination de résidence n’est-elle pas le fruit d’une mûre réflexion, où l’abord affable de ses habitants et leur art consommé d’un bonheur simple sont déjà en soi une raison suffisante ?

Et si l’on pousse davantage l’investigation de nos cœurs, la fréquentation de cette population laborieuse et sereine, de ses campagnes, de ses villes, ne provoque-t-elle pas en nos tréfonds la sensation étrange d’une envie, d’un regret même devant une société qui a su pour une grande part conserver son rythme ancestral, ses équilibres familiaux, sa religion indissociablement mêlée à la vie quotidienne, et même son roi, tout en rentrant dans la modernité ?

Que n’éprouve-t-on pas quand, dans une salle de spectacle, tous se lèvent à l’unisson pour signifier leur respect au monarque et à l’hymne national ? Et de ces élèves en uniforme, progressant en riante colonne le long des avenues, derrière leur maître d’école et drapeau au vent ? Romantisme, nostalgie, contraste coloré avec nos grisailles originelles ?

Que dire alors de cette vie courante qui nous paraît si aisée, si libérée des contraintes que, précisément pour beaucoup d’entre nous, nous avons fuies ? Des petits commerces, des marchands ambulants qui ne connaissent de l’ennui des taxes que la modeste patente annuelle payée au district ? Des banques, où tout un chacun peut, par chèque barré, recevoir son salaire en espèces du compte de son patron, où nous-mêmes, expatriés, sommes libres de disposer de nos avoirs sans questionnement inquisiteur ? Et de ces multiples travaux usuels, pour la contre-valeur desquels nous aurions à peine un café en Europe ? Des tout petits riens qui, additionnés, nous reportent, chez nous, quelques décennies en arrière, quand la France était encore la France.

Personne ici en effet ne dépend de l’aide sociale, les liens traditionnels y suppléent. L’État se fait discret et la liberté est de mise. Dans le respect de la dignité de tous et du bien commun.

Mais ça, on ne vous le dira jamais dans le poste. Et ce n’est pas le moindre intérêt de cette rubrique que de le rappeler.