La France vue d'Asie

Délocalisation du point de vue


La lente décomposition des valeurs et des rapports sociaux qui gangrène tous les jours davantage l’Occident et la France en particulier n’est pas, à mon sens, une fatalité universelle. L’Asie nous prouve qu’un monde plus respectueux des hiérarchies naturelles et des règles simples de l’existence humaine est encore possible aujourd’hui. Pas besoin là-bas de grands mots inscrits sur les édifices publics : les libertés réelles, celles bien palpables qui nous facilitent tant le quotidien, y sont présentes au même titre que les plus saines traditions y ont été préservées.
Outre le plaisir que j’éprouve à vivre dans cette belle région du monde en compagnie de gens accueillants – souriants aussi car ne gaspillant pas leur temps à se plaindre de prétendues injustices ou vilenies de la vie –, j’y travaille sereinement (j’y écris mes livres ou articles en toute quiétude et suis partie prenante dans une société de services pour l’édition basée à Vientiane), et ce cadre délibérément choisi de mon chef m’offre à chaque instant l’opportunité de comparer. Comparer deux modes de vie, deux compréhensions de la vie bien différents. En dépit – et peut-être à cause – de tout l’amour que je porte à mon pays la France, la comparaison des dernières décennies n’est pas à notre avantage.
S’il est plus aisé de donner son point de vue sur ce qui ne marche pas, ou qui ne marche plus, chez nous en s’inspirant de ce qui marche ailleurs et qu’on a sous les yeux –et croyez bien que je n’y manquerai pas ! –, l’objectif de ce blog lorsque les problèmes seront ainsi identifiés et illustrés restera pour l’essentiel, non pas d’essayer de les résoudre – limitons nos ambitions au domaine du possible ! –, mais bien, à défaut de leur apporter ainsi une réponse pour la collectivité, d’en fournir une solution – ou à tout le moins un expédient –de façon individuelle.
Pourquoi une réponse individuelle plutôt que collective ? Et pourquoi revendiqué-je cet individualisme ?
Eh bien, je ne prône pas ici la révolution. Ni non plus n’aurai-je ici la volonté de contrevenir aux lois ou d’y inciter, aussi infondées et prévaricatrices fussent-elles. Face aux maux subits, si l’on cherche une réplique politique, globale, il y a des organisations pour cela. Au demeurant et sans en connaître le temps qu’il y faudra, je suis intimement convaincu qu’une réaction s’opérera. La France est un pays de culture ancienne, elle est aussi formée des milliards d’individus qui nous ont précédés dans notre sang ainsi que des milliards à venir – qui s’additionnent à nos compatriotes d’aujourd’hui –, et je ne doute pas un seul instant que, forte de cette épine dorsale inaliénable, elle saura réagir aux menaces que font peser sur elle ses prétendues élites, et ce d’autant plus fermement que le balancier de sa désagrégation aura été poussé loin par ces factions usurpatrices qui ne la gouverneront qu’un temps encore.
Mais je suis aussi persuadé que, pour aussi modeste qu’elle puisse être, toute initiative permettant à titre personnel de se réapproprier un peu des libertés et de la mâle assurance dont collectivement notre peuple a été spolié participera de ce combat général et contribuera à cet objectif de bien public qu’est la restauration de notre indépendance nationale et de notre imperium.
Clemenceau disait que la démocratie, « c’est le pouvoir pour les poux de manger les lions ».
Je ne sais si c’est la démocratie ou l’accaparement de celle-ci par une poignée d’idéalistes castrés, de stipendiaires du mal particulièrement retors ou d’incompétents tout simplement qui est la cause de cet inversement des valeurs sur ma terre natale, mais je préfère pour ma part les lions aux poux (sans dénier par ailleurs aux uns comme aux autres leur réciproque nécessité ; la nature est ainsi faite qu’elle impose à tout ce qui vit des complémentarités et des hiérarchies). J’ai donc porté mes pas vers les pays où les lions sont plus vénérés que les poux et bien m’en a été rendu. Ne conservant plus que quelques séjours courts – mais réguliers – en France, je partage le plus clair de mon temps entre le Laos et la Thaïlande, y appliquant pour mon compte la belle formule de Hermann Hesse dans SiddharthaQu’il était beau le monde pour qui le contemplait ainsi, naïvement, simplement, sans autre pensée que d'en jouir ! »
Mais délocaliser mon point de vue ne signifie pas pour autant délaisser mon sol ni mes racines, c’est aussi cela ma libre attitude. Loin d’être un obstacle, cette expatriation-délocalisation sera une source d’enrichissement permanente pour mes commentaires et pour les astuces souhaitées revigorantes que j’offrirai au gré de ceux-ci à tels d’entre vous qui voudront bien les lire.
Dans un autre temps, l’homme blanc pensait que son fardeau était d’apporter la civilisation dans les régions lointaines. Le moment est peut-être venu d’aller l’y rechercher, cette civilisation. Avant qu’elle ne nous soit plus qu’un brouillardeux souvenir au fin fond de piteux manuels scolaires que réciteront sans joie les générations de petits Français à venir.